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mardi 10 juillet 2012

« Arour » : Les vraies combattantes

Malgré la température dépassant amplement les 50°C je me rends à Gafsa avec Zakia pour rencontrer Ghezala Mhamdi militante du bassin minier en 2008 et co-fondatrice de l’Union des Diplômés chômeurs de Gafsa avec Afef Bennaceur et  Nourredine Hidouri en 2006. Nous avons rendez-vous dans le centre, à l'intérieur de l’un des rares cafés mixtes de la ville, climatisé bien entendu.

Gare routière de Gafsa

Comme la plupart des militants, la lutte de Ghezala a commencé avec l’Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET) lorsqu’elle étudiait à l’Institut Supérieur des Etudes Technologiques (ISET) de Gafsa. Dès 2000 cette jeune étudiante en gestion se sent « prête dans sa tête » à manifester contre la guerre en Iraq et pour soutenir la Palestine. « Dès ces protestations, j’étais suivie par les policiers… » se souvient-elle. Cela ne l’empêche pas d’enchaîner sit-in et rassemblements pour protester contre les conditions déplorables dans la faculté et le système de corruption qui y règne. « Nous voulions enlever les privilèges matériels et moraux dont bénéficiaient les étudiants du RCD [Le parti de Ben Ali NdA], nous réclamions le droit à un foyer universitaire, à plus de moyens et davantage de clémence pour les étudiants non RCDistes notamment en ce qui concerne les absences où nous étions éliminés dès 10% du taux d’absence autorisé et pas les étudiants RCDistes. » Entre 2000 et 2003, Ghezala est arrêtée 3 fois : « La première fois c’est quand les étudiants ont essayé d’envahir le foyer parce que les bourses étaient en retard. On a voulu entrer au restaurant universitaire sans ticket. La police m’a arrêtée et j’ai perdu ma bourse. Une autre fois, on  a fait un sit-in durant 15 jours dans l’administration du foyer pour réclamer nos droits à un foyer. On était avec une trentaine de filles. La police a arrêté les deux parents de deux étudiantes pour les insulter. A 1 heure du matin ils sont entrés chez eux et ont pris le père et la mère. Heureusement que mes parents me soutenaient. Ils les ont amenés à la fac pour leur dire « prenez votre fille et rentrez à la maison ». Ils pensaient que si je rentrais, le sit-in allait s’arrêter. »

Les combattantes
Gare routière de Gafsa
Ça c’est une « Arour ! » s’exclame Zakia dans un rire complice avec Ghezala. Je lui demande ce que signifie ce mot : « cela veut dire que c’est une vraie femme, une vraie combattante. C’est un mot familier et régional, un peu excessif et peu usité ». Ce n’est pas grave, cela me plaît…

« Quand j’ai fini mes études, je suis restée au chômage jusqu’en 2006 où j’ai été contractuelle en sous-traitance avec un salaire très bas… » Ghezala ne considère pas cette période comme un vrai travail, son statut reste très précaire jusqu’en 2011. « Fin 2005 avec deux autres amis, Afef Bennaceur et  Nourredine Hidouri on a commencé à penser à la création d’un comité régional de diplômés chômeurs à Gafsa (UDC). On pensait que le problème du chômage ne concernait pas seulement une vingtaine de personnes mais que c’était un problème national. On a diffusé notre premier communiqué le 5 janvier 2006 et on a commencé les sit-in dans le jardin municipal pour se faire connaître. Et là une nouvelle lutte a commencé avec la confrontation directe des policiers qui nous agressaient physiquement en pleine rue. » 
Très vite le gouvernorat de Gafsa compte 9 comités locaux et les comités s’étendent  à d’autres régions comme Kasserine ou Sidi bouzid, zones sinistrées et bastions de la future révolution. « Le communiqué demandait à l’état d’assumer ses responsabilités par exemple en créant une loi qui protège les travailleurs surtout dans le privé, ou une prime de chômage. Ce sont des revendications politiques : cela veut dire que l’on refusait la politique de Ben Ali. Quand l’état a découvert que j’étais membre actif, que je poussais les gens à agir, les responsables régionaux m’ont donné un poste de sous-traitance dans une association de développement pour me faire taire. J’ai travaillé en étant sous-payée pendant deux ans et ils m’ont virée car je ne m’étais pas calmée. Le gouverneur de Gafsa m’a dit : « On t’a donné un poste pour te calmer et ça ne t’a pas calmé ! ». »

 Le militantisme au quotidien
 
Gare routière de Gafsa
En effet, durant ces deux ans, Ghezala ne cesse ses activités militantes. « Dès 2005 j’étais membre du comité des femmes et des jeunes au sein du Parti Démocrate Progressiste (PDP) dirigé par Ahmed Néjib Chebbi. J’ai essayé de faire bouger les choses avec ce parti dont j’ai été la porte-parole dans la région de Gafsa. Le 18 octobre 2005, les leaders des 8 grands partis d’opposition avaient fait une grève de la faim. Cette grève a duré tout un mois et a débouché sur la création du Collectif du 18 octobre pour les droits et les libertés [Qui regroupe des partis de gauche communistes comme le PCOT, des laïques et des islamistes, NdA]. L’état a décrété ce mouvement illégal et la police a renforcé et durcit sa surveillance. Et ce sont toujours les militants de base qui payent la facture la plus chère ! J’ai également activement soutenu le mouvement du bassin minier de Gafsa en 2008. On faisait des réunions, des sit-in, des manifestations de soutien. On faisait des collectes pour les prisonniers. On était en lien avec les leaders du mouvement de protestation de l’UGTT local en tant que soutien du PDP. Durant cette année 2008, non seulement j’ai perdu mon travail mais j’ai été violemment agressée par la police. À 7 ou 8 reprises, ils m’ont tabassée, j’ai eu le nez cassé avec une double fracture qui me pose encore problème aujourd’hui. Avec un certificat de 30 jours d’arrêt j’ai déposé plainte mais elle a été jetée à la poubelle. J’ai également eu un genou cassé par les policiers qui m’ont jetée à terre et frappée, frappée… Aujourd’hui j’ai mal tout le temps. Dans les manifs je n’ai pas peur de me mettre en avant. Même les policiers m’ont dit « comment tu as résisté jusqu’à maintenant, sans argent, sans travail ? ». Et Ghezala rajoute en rigolant : « Les jours où je n’étais pas agressée, je me disais « mais qu’est-ce qu’il y a aujourd’hui, on ne m’a pas agressée, ce n’est pas normal ! » Parfois j’étais agressée trois fois dans la semaine… ».

Nous avons rendez-vous dans l'un des rares cafés mixtes de la ville. La plupart des cafés sont réservés aux hommes...

Vivre sous la dictature
Comme Zakia, comme d’autres militant(e)s, c’est aussi la pression quotidienne sous forme de surveillance, la menace et la peur constante dont se souvient Ghezala : « Chaque jour avec une amie on rentrait à la maison à deux heures du matin. On s’était dit avec les amis de ne jamais se déplacer seuls, toujours à deux ou trois personnes, car en cas d’arrestation l’une des personnes peut prévenir les autres. Si tu restes seul la police peut te prendre, comme un enlèvement, et personne ne sait où tu es, même pas ta famille. Tu n’as pas d’avocat, personne ne sait si tu es vivant… Des amis se sont fait arrêter et pendant 20 jours on ne savait pas où ils étaient. Mohammed Soudani est resté 20 jours en prison et ce n’est que quand Amnesty International a lancé un appel de recherche que l’on a su où il était. »


Malgré ces séquelles, Ghezala reste très active et décide de protester contre ce licenciement abusif. « En octobre 2010, j’ai fait une grève de la faim à Gafsa pendant 17 jours. Les partis politiques comme le PCOT ou le PDP ainsi que les syndicats et les associations m’ont soutenue. Le docteur m’a demandé d’arrêter car mon état de santé était trop dégradé et les leaders des partis et de l’UGTT de Tunis m’ont dit d’arrêter car ils allaient arranger les choses. En novembre 2010 j’ai arrêté ma grève de la faim et en décembre Mohammed Bouazizi s’est immolé. En janvier 2011, j’ai décidé de faire un sit-in à l’UGTT avec ma mère qui est très malade. Ça a duré une semaine et ensuite j’ai décidé de sortir et de faire des réunions avec les gens qui m’avaient soutenue. Il y avait des manifestations dans toute la Tunisie. J’ai dit « Ma demande est celle de toute la Tunisie, je veux être avec les autres ! ». Le 12 janvier j’ai pris la parole dans une manifestation devant les chômeurs et un ami avocat m’a prévenu que la police projetait de m’arrêter. Je suis donc restée avec cet ami pour ne pas être arrêtée. Le 13 janvier il y avait une perturbation chez les policiers donc il n’y avait plus ordre de m’arrêter. Le 14 janvier je manifestais à Gafsa. »

Le 14 janvier 2011 Ben Ali s’enfuit. Quatre jours après, Ghezala est recrutée au Ministère des finances.


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